''Nul n'est le gardien de son frère'', ai-je lu
''Nul n'est le gardien de son frère'', ai-je lu ce matin au détour d'une page du Sermon sur la chute de Rome. Non, nous n'avons pas le pouvoir d'empêcher quiconque de commettre ses erreurs, de se fourvoyer et de croire en des choses qui n'existent pas. Et nous n'en avons pas le droit, en vérité. Jérôme Ferrari emprunte encore ceci à Saint Augustin: ''Ce que l'homme fait, l'homme le détruit''.
Voilà ce que je lisais, quelques heures avant d'apprendre que Pierre Solarz est mort hier, à l'hôpital, le jour de son 53ème anniversaire.
Il est des hommes qui tentent d'imprimer à leur vie une trajectoire, on les voit s'efforcer de rassembler les matériaux épars qui leur ont échu, et avec cela de bâtir un esquif. Tous n'en sont pas capables, certains prennent le large et d'autres se sabordent eux-mêmes.
Pierre a fait ce qu'il pouvait, avec ce qui lui avait été donné - c'est-à-dire un lot peu commun d'injustice, de tourments et de tragédies.
Pour nous, Pierre est l'homme qui m'a conduite à l'église de Nailly dans son break parce que sa voiture était la seule disponible. Il est l'homme qui a accouru un jour où Siegfried était vraiment mal en point. Avant que la vie ne le casse, nous l'avons vu aimer et heureux d'être aimé. Nous l'avons vu, ses enfants dans les bras, fier et tendre. Nous avons ri avec lui. C'est ce Pierre-là que nous avons connu, et c'est de lui que je veux me souvenir.
S'il est vrai que ''ce que l'homme fait, l'homme le détruit'', alors cet homme-là mérite la paix qu'il s'est si longtemps refusée. Qu'elle soit avec lui, maintenant, enfin, et pour toujours.
Quint Buchholz - Giacomond